mardi 17 novembre 2009

L'alcool à Yamachiche en 1851

Le notaire Petrus Hubert est né à Yamachiche le 18 août 1810, de Pierre Hubert et de Marie-Louise Carbonneau. Il a fait ses études au Séminaire de Nicolet de 1821 à 1828 et a été admis à la profession de notaire en 1834. Petrus Hubert est l'auteur du premier manuel de notariat canadien.

Il a été nommé responsable du recensement de la population de Yamachiche en 1851. Normalement, les recenseurs se contentaient de remplir des tableaux de données mais Petrus Hubert a cru bon d'ajouter un texte où il fait une appréciation morale des paroissiens qu'il a rencontrés.

Il énumère d'abord le nombre de commerces et d'établissements de toutes sortes : "Il n'y a pas d'auberges ni de tavernes, mais il y a 4 maisons de pension. Il y a 6 magasins, 8 boutiques de forgerons, 4 boutiques de tanneurs, 7 boutiques de cordonniers, 12 boutiques de menuisiers, 1 boutique de voituriers, 2 boutiques de potiers ..."

Yamachiche était en 1851 le centre urbain le plus important de la Mauricie après Trois-Rivières. De plus, le village était très bien situé sur le chemin du Roy, une des routes les plus passantes de l'époque. Qu'il n'y ait eu aucune auberge ou tavernes, c'est-à-dire aucun commerce vendant de l'alcool, est vraiment étonnant. On pourrait croire que des alambics fonctionnaient à plein régime dans le fond des rangs. Mais non! Petrus Hubert nous apprend que les problèmes liés à l'alcool ont été réglés grâce aux sociétés de tempérance :

"Nous avons la satisfaction de pouvoir constater, par l'expérience de nos visites domiciliaires en faisant ce rescensement, qu'il s'est opéré dans la paroisse depuis quelques années une amélioration frappante dans la condition des familles et des individus; on n'y a nulle part rencontré le spectacle d'une indigence et d'une misère désolante, comme il était arrivé auparavant d'éprouver en quelques endroits de pénibles impressions; et nous sommes convaincus que le retour du peuple à la sobriété par l'établissement des sociétés de tempérance y est de beaucoup dans l'heureuse transition morale et physique de la gène à l'aisance qu'ont subie les populations de cette grande paroisse."


Le mouvement de tempérance a débuté aux États-Unis vers 1808. Au Canada français, le principal apôtre de la tempérance a été l'abbé Charles Chiniquy (1809-1899). Fils de notaire, il a étudié au Séminaire de Nicolet de 1822 à 1829, en même temps que Petrus Hubert. Il a été vicaire ou curé dans plusieurs paroisses avant de se consacrer entièrement à la prédication. Il a fondé en 1840 la première société de tempérance à Beauport; ceux qui adhéraient à cette société s'engageaient à ne pas boire de boissons alcooliques et à ne pas fréquenter de cabarets. Doté d'un talent oratoire et d'une forte personnalité de type narcissique, Chiniquy était adulé par les foules. Il a eu des démélés avec les autorités religieuses après avoir été dénoncé, à plusieurs reprises, pour des inconduites sexuelles à l'endroit de "ménagères" qui travaillaient à son presbytère. À chaque dénonciation, ses supérieurs tentaient d'étouffer l'affaire en le déplaçant. Il a fini par s'exiler aux États-Unis, au Michigan, où il s'est converti au protestantisme dans l'Église presbytérienne.

Les sociétés de tempérance, qui avaient pour symbole une croix noire, étaient une manifestion de l'emprise accrue du clergé sur la population canadienne-française. Selon l'historien Jacques Saint-Pierre, vers 1850, elles comptaient environ 400 000 adeptes sur une population totale des 900 000 catholiques, ce qui est énorme. Mais les habitants trouvaient quand même le moyen de prendre un petit coup. Dans ses mémoires, Jos-Phydime Michaud raconte : "Avant 1914, chaque habitant faisait lui-même son gin et son whisky. La fabrication avait augmenté, surtout depuis la fermeture des hôtels à Kamouraska après la campagne de tempérance. La bouteille de whisky coûtait très cher et il était difficile de s’en procurer" (Kamouraska de mémoire… Souvenirs de la vie d’un village québécois).

Ajout : Il semble que les problèmes de comportement de Chiniquy aient commencé tôt, dès l'adolescence. Dans la Revue d'histoire de l'Amérique française (vol 12, no 4, 1959), W. J. Price raconte pourquoi le père adoptif de Chiniquy, le marchand Amable Dionne, qui finançait ses études au Séminaire de Nicolet, a rompu tous ses liens avec lui en 1825. Alors âgé de 16 ans, Chiniquy aurait attenté à la vertu de ses soeurs adoptives, les filles du marchand Dionne. Il a ensuite raconté que c'était à cause d'un petit montant d'argent (28 chelins) qu'il avait dépensé que son père adoptif l'avait renié. Impressionnés par son talent, les prêtres du Séminaire de Nicolet l'ont cru et ont décidé de le garder gratuitement comme pensionnaire.

Bizarre : Une ville du Michigan porte le nom de Temperance.

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